La Caserne du Muy, emblème de la colonisation sous le second empire

Contexte historique

La Caserne du Muy, anciennement Caserne Saint-Charles, se situe dans le 3e arrondissement de la ville de Marseille et constitue un édifice militaire historique bâti sous le régime du Second Empire. Situé dans le quartier de la Belle-de-Mai, l’édifice se trouve en position intermédiaire, jouxtant la gare Saint-Charles au sud-ouest et la Friche de la Belle-de-Mai au nord-est, tandis que sa façade sud-est est adjacente au faisceau des voies ferroviaires de la gare. Marseille étant un point de passage maritime stratégique, des besoins en hébergements militaires croissants avec la guerre ont nécessité la création de différentes casernes dans la ville. La Caserne du Muy était une étape et un maillon emblématique de la colonisation en tant que caserne militaire construite sous le Second Empire.

Elle fut un important centre de transit vers les colonies françaises. Elle a abrité jusqu’aux indépendances les troupes composées par les hommes des pays qui étaient alors colonisés, notamment du Sénégal et du Laos. Après les indépendances des colonies, elle est devenue centre régional de recrutement, tout en conservant la mission d’approvisionnement des troupes installées dans les départements et les territoires d’Outre-mer. Suite à l’abandon de la Caserne du Muy par l’armée en 2012, le bâtiment demeure sans usage permanent. Il a été réaménagé temporairement pour accueillir le tribunal d’instance de Marseille, avant de retomber à l’abandon. Le ministère de la Justice a installé une salle d’audience modulaire dans la cour de la caserne, pouvant accueillir 400 personnes, dans le but de tenir des procès majeurs et des audiences du pôle social. En février 2020, une consultation restreinte de conception-réalisation a été lancée pour un marché global d’une durée de 65 à 70 ans. C’est en ce lieu que se sont tenues fin 2024 les audiences du tribunal correctionnel pour le procès des effondrements de la rue d’Aubagne.

Approche critique

La caserne du Muy se présente comme un espace mémoriel polysémique. Elle est d’abord la matérialisation de la volonté de Napoléon III de montrer la puissance militaire de l’empire français. Sa deuxième vie, purement transitoire, est celle d’une cour de justice, et sa troisième vie, pour l’instant imaginée, est celle d’un pôle polyvalent au cœur d’un projet éducatif.

Deux aspects sont en jeu dans le plan de réaménagement. Le premier est purement fonctionnel, celui de l’utilisation de l’espace de la caserne. Qu’elle soit transformée en salle d’audience ou en auberge de jeunesse, un facteur pour autant ne change pas : ce facteur est le second aspect du réaménagement symbolique et mémoriel. La caserne du Muy, de par son architecture, son rôle d’avant-poste et son implantation entre les deux rues Bugeaud et Cavaignac, renvoie aux conquêtes coloniales et à leur violence.

La rue du Génie (13003) est parallèle à la rue Cavaignac et croise l’ancienne rue Bugeaud. Dans un espace commun, la proximité de ces noms de rues évoque d’une part le génie militaire et civil et d’autre part des acteurs clé de la violence contre les populations locales lors de la conquête coloniale de l’Algérie. Le croisement de ces rues est comme une métaphore de la violence associée à la colonisation, et présentée comme un mal nécessaire. En effet, l’argument de la “valorisation” et du développement des territoires conquis sert de légitimation à la conquête et masque sa violence intrinsèque.

Le maréchal Bugeaud est tristement célèbre pour avoir été l’auteur de massacres pendant la colonisation de l’Algérie. La technique de Bugeaud consistait à mettre le feu à l’entrée des grottes où s’abritaient les civils algériens de manière à ce qu’ils meurent par inhalation de fumée. L’enfumade la plus connue et la plus violente est sans doute celle du Dahra le 17 juin 1845, où près d’un millier de personnes perdirent la vie. Cette technique a été inspirée par le Général Eugène Cavaignac, qui avait utilisé la même technique en 1844 contre la tribu des Sbehas.

En novembre 2022, le maire de Marseille Benoît Payan choisit de rebaptiser l’école Bugeaud par le nom d’Ahmed Litim, un tirailleur algérien qui a perdu la vie pour libérer Marseille, sans pour autant débaptiser la rue. Deux ans après, la rue a aussi été rebaptisée Ahmed Litim. On peut s’interroger sur la façon dont les citoyens pourraient être associés à ces décisions sur la nomination des rues, comme ils le sont par ailleurs pour le budget participatif. Les habitants et riverains auraient pu prendre part et choisir une femme plutôt qu’un homme, un civil plutôt qu’un militaire, un résistant à la colonisation ou en faveur de l’indépendance... La prérogative de nomination des noms de rues reste largement celle des élus et de la commission des noms de rues.

Auteurs et autrices

  • CHABANI Samia

    Coordinatrice générale d’Ancrages, journaliste Diasporik

Pour citer

CHABANI Samia (2025). “La Caserne du Muy, emblème de la colonisation sous le second empire”, Mars Imperium (https://marsimperium.org/la-caserne-du-muy-embleme-de-la-colonisation-sous-le-se), page consultée le 23 novembre 2025, RIS, BibTeX.